Durant mon pèlerinage autour de l’île de Shikoku j’ai tenu un journal de bord quasiment quotidien.
Afin de partager cette expérience de façon plus authentique, j’ai décidé de retravailler certains passages de mon carnet pour une meilleure compréhension.
Ces passages ont été écrits à différents moments du périple (certains ont d’ailleurs été postés sur mon compte Instagram). J’espère que ce format vous permettra de ressentir au mieux cette fabuleuse expérience que j’ai pu vivre durant 45 jours.
D’ici quelques jours débutera une longue marche, une grande aventure, un périple nouveau et intrigant : le pèlerinage de Shikoku.
On le surnomme le « Compostelle japonais ». Il consiste à suivre un sentier autour de l’ile de Shikoku élaboré au 9e siècle, tout en s’arrêtant aux 88 temples sur le chemin. C’est le pèlerinage le plus connu du pays.
De nos jours, la plupart des pèlerins effectuent leur voyage en bus, train ou taxi. Mais certains, plus courageux ou peut-être juste plus fous, le parcourent à pied comme les pèlerins d’autrefois.
1200 kilomètres et environ 4 à 6 semaines sur les flancs des montagnes, en bord de mer ou en pleine campagne, à marcher sur les pas de milliers de pèlerins.
Le pèlerinage de Shikoku est avant tout un pèlerinage historique. On pense que le sentier fut créé au 9e siècle, quand le prêtre bouddhiste Kobo Daishi (ou Kukaï) fit le tour de l’île en quête d’éveil spirituel.
Le voyage à travers les quatre provinces de Shikoku s’apparente donc étroitement à un cheminement symbolique vers l’illumination. Les temples 1 à 23 représentent l’idée de l’éveil, 24 à 39 l’austérité et la discipline, 40 à 65 l’atteinte de l’illumination, et 66 à 68 l’entrée au nirvana.
Les pèlerins sont nommés O-henro-san. À leur arrivée à chacun des temples, ils réalisent un rituel de prières et se font calligraphier un livre spécial.
J’ai cherché une raison valable de faire ce pèlerinage, mais je n’en trouve aucune. Je ne suis ni bouddhiste ni marcheur aguerri. J’ai donc une certaine appréhension à l’idée de parcourir 1200 km en solo et dormir à la belle étoile pendant plusieurs semaines.
Mais, au fond, je crois que c’est justement cette appréhension qui m’intrigue et m’attire. J’y vois là l’occasion de me détacher du quotidien afin de pouvoir consacrer du temps de qualité aux réflexions calmes, sans les distractions habituelles. Moi… et mes pensées en quelque sorte ! J’imagine également qu’un tel périple m’apportera quelque chose… Quoi ? Je ne sais pas encore.
Au cours de mon voyage, je me déconnecterai donc du bruit, des réseaux sociaux et des informations. J’essaierai par contre de tenir un journal de bord sur ma progression autour de l’île.
Selon la météo et la difficulté des chemins, je prévois de camper 1 ou 2 nuits par semaine, et d’opter pour différents hébergements le reste du temps.
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J’ai décidé de commencer mon aventure en septembre. Il faut savoir que le climat japonais ne permet de réaliser ce pèlerinage que quelques mois dans l’année. Le reste du temps, les intempéries peuvent rendre l’expérience difficile ou dangereuse.
D’ailleurs, septembre n’est pas vraiment idéal car on considère ce mois comme la principale saison des typhons. Mais comme je n’avais pas envie d’attendre le printemps suivant, j’ai tout de même décidé de partir.
La première étape du pèlerinage a été le temple n° 1, Ryozen-ji, où il est possible d’acheter la tenue du parfait p’tit pèlerin : chapeau de carex, chemise blanche, bâton de bois ainsi qu’un petit livre à faire tamponner à chaque temple.
Si vous pensez réaliser prochainement le pèlerinage, je vous conseille vraiment de vous acheter ce bâton de marche.
Personnellement, le mien m’a sauvé la mise à de nombreuses reprises quand j’ai perdu l’équilibre. Il m’a aussi permis de repousser deux chiens assez agressifs un matin à la sortie d’un village et de faire fuir des serpents croisés au hasard d’un sentier.
Le bâton joue également un rôle important dans le pèlerinage de Shikoku, puisque c’est un symbole important dans le Shugendo.
Le mien était gravé d’inscriptions japonaises signifiant « nous marchons ensemble » et il est aussi censé incarner le moine Kobo Daishi pendant le pèlerinage.
Le bâton est devenu très vite, mon compagnon de route. D’ailleurs, j’vais peut-être passer pour un débile, mais il m’arrivait souvent, après des jours passés sans croiser âme qui vive, de lui parler comme à un ami. Pendant toute l’aventure j’ai eu l’impression qu’il veillait sur moi.
Je n’ai pas pris la petite clochette qui allait avec, mais je l’ai vraiment regretté vers la fin du voyage pour faire fuir certaines bêtes…
À peine sorti du premier temple pour continuer mon chemin, je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul à avoir eu l’idée de faire le pèlerinage de Shikoku. De nombreux pèlerins parcouraient la route en même temps que moi, à la différence près qu’eux étaient confortablement assis dans un bus ou dans une voiture.
Par contre, les pèlerins à pied étaient vraiment peu nombreux. À mon retour, j’ai appris que nous n’étions chaque année que quelques centaines à le faire. Après tout, il faut avoir le temps, la force et l’argent pour se permettre un tel périple.
J’ai rencontré quelques pèlerins à vélo dans les temples, mais les chemins de montagne sont réservés aux marcheurs. Il m’est arrivé en de rares occasions d’en croiser. Soit on se doublait, soit on se retrouvait le soir dans les refuges. Mais bizarrement, personne ne marche en groupe. Si au début il m’arrivait de croiser 3 à 4 marcheurs par jour, à la fin du voyage, ça devenait aussi rare qu’un trèfle à quatre feuilles.
La fin de la première semaine fut particulièrement difficile, aussi bien physiquement que mentalement. Mon corps était parcouru de douleurs musculaires insupportables aux jambes, aux cuisses, aux bras et au dos. Les quelques kilomètres de marche pratiqués ici et là avant mon départ n’avaient pas été suffisants. Mais avec le recul, je pense que rien n’aurait pu me préparer !
Arrivé à Tokushima, je ne pouvais plus faire le moindre geste. Je me sentais vidé comme si toute énergie avait déserté mon corps. Alors j’ai décidé de m’assoir sur les marches près d’un temple pour me reposer.
La tête pleine de doutes, j’envisageais pour la première fois l’idée de mettre un terme à ce voyage, prendre le train pour Tokyo et profiter de la coupe du monde de Rugby qui se déroulait au même moment. Pourtant, je ne suis même pas fan de Rugby. C’est vous dire.
Ces pensées ont vite été dissipées par un petit garçon qui, sans m’en rendre compte, avait attrapé mon bâton de pèlerin et s’était mis à jouer avec. J’étais tellement dans mes pensées que je ne m’étais rendu compte de rien.
Sa mère se mettant à le gronder, je profitai de la situation pour lui demander conseil. Très rapidement, elle se rendit compte que j’étais un pèlerin et me recommandai de dormir dans son Zenkanyado non loin, un abri mis à disposition gratuitement pour les pèlerins.
On peut trouver des Zenkanyado et des Henro-house un peu partout sur Shikoku. En général, ce sont les locaux eux-mêmes qui les fabriquent afin d’aider les randonneurs qui ont besoin d’un abri pour se reposer et reprendre des forces pour continuer.
Ce fut un grand luxe ! Il faut dire qu’après avoir dormi sur le banc d’un temple, sous un arrêt de bus et dans ma tente ces dernières nuits, tout ce qui avait un toit solide me paraissait incroyablement confortable.
(première nuit sur le banc d’un temple)
Ce Zenkayado était donc équipé d’une petite table, d’une cuisinière, d’un matelas, d’une couverture et surtout d’un ventilateur qui permettait d’éviter de se faire attaquer par les moustiques pendant la nuit. Dans la cour arrière, il y avait même une machine à laver, une douche et des toilettes ! Que demande le peuple ?
Avant de me coucher, je suis tombé sur un cahier avec des petits messages laissés par d’autres pèlerins. Anglais, espagnol, français, japonais; il y avait de nombreuses langues. Certains de ces messages remontaient à l’année 2010 !
Le lendemain matin, je me suis réveillé peu après l’aube, bercé par le bruit de la pluie sur le toit. Alors que j’étais en train de m’extraire de mon sac de couchage, j’ai entendu des bruits de pas s’approcher. La porte s’ouvrit et laissa apparaître le visage souriant de cette femme rencontrée la veille.
– As-tu bien dormi ?
– Comme un bébé !
– Super ! Je vais prier avec mon fils dans le temple à côté. Tu peux venir avec nous, si tu veux.
Je me dépêchai de m’habiller pour la rejoindre. Arrivé au temple, elle se mit à genoux pour prier Kobo Daishi.
– Ma famille vient ici une fois par mois, dit-elle en posant des fruits, du gâteau, de l’argent et des boissons sur l’autel.
À ce moment-là, j’ai pensé que ça devait être des offrandes. Mais au moment de partir, elle me les tendit.
– Tu es un henro (pèlerin). Voici un “o-settai” pour toi.
Profondément touché par son geste, j’ai décidé d’accepter son cadeau en répétant « merci » en japonais des dizaines de fois.
Plus tard dans l’aventure, j’apprendrais qu’il s’agit d’une tradition très importante chez les Japonais. Ces cadeaux que l’on fait aux pèlerins pour les aider à poursuivre leur chemin sont en fait des offrandes faites à Kōbō Daishi à travers le pèlerin. Pour les habitants de Shikoku, chaque pèlerin sur le chemin pourrait être la réincarnation de Kōbō Daishi, alors ils nous traitent avec une très grande attention et beaucoup de gentillesse.
J’ai reçu des « o-settai » quasiment tous les jours au cours de mon pèlerinage. Des clémentines offertes par une villageoise qui m’a vu traverser son champ, des bonbons par des passants ou d’autres pèlerins, des gâteaux ou des bouteilles d’eau de la part des gérants de magasins, de l’argent par un vieux monsieur qui n’avait que ça sur lui… Et surtout beaucoup, beaucoup d’encouragements de toutes les personnes croisées en chemin.
Parfois un simple « Good luck » ou « Take Care » crié par un passant en voiture me donnait le sourire pour toute la journée.
Et je me suis rendu compte à quel point ces cadeaux et ces petites attentions toutes simples étaient importants pour le moral. Ce sont eux d’ailleurs et tous les encouragements qui m’ont aidé à poursuivre le pèlerinage et aller jusqu’au bout.
L’île de Shikoku se divise en quatre régions différentes, toutes traversées par le chemin de pèlerinage. La tradition veut que chaque région incarne les quatre étapes de l’éveil spirituel des pèlerins.
Hormis les douleurs musculaires des premiers jours, Tokushima -ken, a été le moment le plus facile de l’aventure. J’ai réussi à trouver des endroits confortables pour dormir et rencontré beaucoup d’autres pèlerins dans les temples.
D’ailleurs le plus beau moment fut quand j’ai enfin atteint la côte :
La deuxième région, Kochi-ken, a été plus difficile, surtout avec le trek de Muroto-zaki. La route était longue, très longue. Elle longe le littoral sur des dizaines de kilomètres.
Pendant trois jours, j’ai marché le visage fouetté par l’air chargé de sel et les yeux éblouis par le soleil. Au bout de deux heures de marche, j’étais déjà crevé et pour dormir, c’était aussi très compliqué de trouver un endroit confortable.
Mais, comme à plusieurs moments durant mon aventure, ce sont des expériences les plus difficiles qui engendrent les expériences les plus belles et les plus émouvantes.
Un jour d’une forte averse où je peinais à avancer, un automobiliste s’arrêta à mon niveau :
– Tu ne devrais pas rester dehors !
– Quoi ?
– Il y a un typhon qui se dirige actuellement vers la côte, il sera là dans 30 minutes !
Cet automobiliste se rendait chez ses parents à une dizaine de minutes. Après une brève conversation, il me proposa de l’accompagner pour me mettre en sécurité quelques heures.
Ses parents étaient ravis de pouvoir accueillir et aider un pèlerin. J’ai pu me réchauffer avec un bon thé et caler ma faim avec des petits gâteaux tout en échangeant avec leur fils, Yuichiro. Durant la conversation, j’appris qu’il était le créateur des robots trompettes chez Toyota.
Deux heures plus tard, Yuichiro me conduit au Minshuku (auberge traditionnelle japonaise) que je devais théoriquement atteindre ce jour-là. J’vous avoue qu’à ce moment-là, j’ai eu la sensation de « tricher » en faisant ces 25 kilomètres en voiture. J’en ai d’ailleurs parlé à Yuichiro et il m’a répondu avec un sourire qu’il n’y avait pas de bonne ou mauvaise façon d’arriver au bout de ce pèlerinage. Que le bon chemin, c’est celui que je prenais.
Depuis le volant de sa voiture il me dit :
Considère-toi comme chanceux ! Ce pèlerinage t’endurcira et ouvrira ton cœur.
Sans vraiment comprendre, je lui ai esquissé un sourire en coin et balbutia un « goodbye » avant de diriger vers le Minushuku.
Ce soir-là, le typhon était passé et le ciel était d’une couleur intense. J’ai donc décidé de profiter de ce moment en sortant m’assoir face à la mer. Là, j’ai contemplé le spectacle pendant près d’une heure.
La région de Kochi-ken est un vrai challenge. Pas que le sentier y soit difficile, mais plutôt qu’il est long et solitaire, avec peu de choses à voir sur la route. Deux semaines après le début de mon pèlerinage, mon corps commençait à s’affaiblir de nouveau, mais différemment : douleurs, craquements, égratignures, etc.
Mes genoux ont eu beaucoup de mal à encaisser le choc et presque chaque petit tendon, os et jointure m’a fait mal à un moment ou à un autre, surtout sur les routes qui montaient et descendaient sans cesse. C’est dingue tout ce que l’on peut apprendre de son propre corps quand on laisse son petit confort derrière soi.
Pendant mes journées de marche, il m’est même arrivé de découvrir que des endroits complètement saugrenus pouvaient faire incroyablement mal ! À un moment, j’ai même cru que je ne pourrais physiquement pas finir le pèlerinage que je tomberai en miettes bien avant.
Et puis au bout de trois semaines, les douleurs se sont peu à peu atténuées pour finalement disparaître la semaine suivante. À ce moment-là, mes pieds étaient devenus méconnaissables. Ils avaient l’air vieux et usés, comme s’ils avaient pris 10 ans en quelques semaines. Même mes chaussettes en mérinos indestructibles reflétaient la difficulté du sentier.
A ce stade de l’aventure, j’avais perdu plus de 7 kilos. Pourtant, je mangeais aussi souvent que possible (et croyez-moi je peux manger énormément !).
Par contre, mes jambes étaient devenues bien plus fortes et musclées. Elles me surprenaient à toujours continuer à grimper sans trop se fatiguer. Bien sûr à certains moments les jambes continuaient à me faire mal et les 30 kilomètres quotidiens pouvaient être épuisants. Mais rien d’anormal !
D’ailleurs, je crois que l’une des choses les plus incroyables que j’ai apprises c’est d’être capable d’écouter ce que mon corps a à me dire. Je commençais à savoir quand il avait besoin de repos ou d’aide pour se remettre de quelque chose.
Puis j’ai atteint la moitié du chemin. À cette étape, j’avais déjà rencontré la grande majorité des autres pèlerins que je croiserais de temps à autre au cours de mes journées de marche.
À Tokushima-ken, j’ai rencontré, Aiko, avec qui je suis devenu ami. Elle s’était lancée dans le pèlerinage sans aucune expérience en randonnée. La première fois que je l’ai vue, je me souviens qu’elle boitait dans ses sandales et essayait de soulever son sac à dos de 20 kilos.
Quand elle a appris que le mien en faisait six, elle n’arrivait pas à y croire.
Je me suis alors arrêté pour l’aider à alléger son sac et j’ai pu remarquer des tas de choses que je n’aurais jamais pris avec moi comme une doudoune et une seconde paire de chaussures.
J’ai aussi rencontré, Hideo, un Japonais qui en était à son deuxième pèlerinage à pied. Il ne parlait pas un mot d’anglais, mais nous arrivions à échanger via Google Translate.
J’ai eu l’occasion de les recroiser l’une et l’autre à plusieurs reprises. On se doublait, ou alors je reconnaissais leur silhouette au loin.
J’ai aussi eu l’occasion de marcher quelques jours avec des étrangers à différents moments du voyage dont un Américain, une Française et une Danoise vers la fin du périple.
Beaucoup étaient également, comme moi, plus intéressés par le trek en lui-même que par son aspect religieux et spirituel. Aiko, par exemple, n’était pas une grande fan de bouddhisme, mais, elle adorait observer la faune et la flore dans leur environnement naturel.
D’autres, par contre, avaient des raisons bien plus profondes que je n’ai pu déceler qu’à la suite de nombreuse rencontre. Certains le faisaient à la suite du décès d’un proche, d’autres suites à une séparation. Il y avait même un pèlerin qui était malade et souhaitait pouvoir faire ce pèlerinage avant de perdre complètement la vue…
Beaucoup de pèlerins qui faisaient le pèlerinage en bus me demandaient si je parcourais vraiment toute la route en marchant. Ça leur paraissait aberrant puisque 1200 kilomètres en bus, c’était déjà long, alors à pied..!
Et c’est une chose à laquelle je ne me suis pas habitué, même après plusieurs semaines. Tout le long du parcours, on m’a remercié de faire ce pèlerinage. Comme si je le faisais à leur place. Comme ce vieil homme qui parcourait la région de Tokushima en voiture et arrêtait les pèlerins étranger pour les dessiner dans son cahier et leur offrir une bouteille d’eau.
J’ai eu tout de même un doute sur la ressemblance.
Aux 3/4 du chemin, arrive enfin la 4e et dernière région de Shikoku : Kagawa -ken. Je commençais vraiment à percer certains aspects culturels du Japon.
J’avais déjà voyagé au pays du soleil levant, mais je n’avais pas approfondi les choses autant que j’ai pu le faire ces dernières semaines.
Cette aventure me fait traverser tellement de petits villages, de rizières vertes et jaunes, de forêts de bambous, de montagnes ardues recouvertes d’arbres immenses et anciens, de longues rivières, de plages où me baigner entre deux marches et de grosses villes presque impossibles à traverser en un jour… Toutes ces découvertes ont été aussi l’occasion de faire plein de rencontres et de découvrir à quel point les habitants pouvaient être gentils et accueillants.
Mais je dois bien avouer qu’à ce moment de l’aventure, je commençais à avoir hâte d’en finir, à me languir de retrouver mon chez-moi et mes proches, d’autant que le mois de novembre apportait avec lui du froid et de la pluie.
Je pense notamment aux matins où je me levais sous ma tente. Il faisait incroyablement froid et j’avais mal absolument partout. Malgré le manque de motivation, je devais trouver la force de me lever et marcher 25, 30 ou 35 km.
Ou les fois où il pleuvait pendant des jours et des jours, où mes vêtements étaient complètement trempés sans que je puisse les mettre nulle part à sécher.
Ou encore les fois ou tout allait bien. Le soleil brillait et les paysages étaient magnifiques, mais je n’avais parlé à personne depuis des jours.
Ce sont ces moments durant lesquels je me demandais ce que je faisais ici, à Shikoku.
Mais je ne sais pas par quel miracle, je trouvais tout de même la force de continuer, peu importe les difficultés. Je faisais le choix de passer outre la douleur et le manque d’interaction. Je sortais de ma tente et commençais à marcher. Ou bien je continuais sous la pluie et je me trouvais un endroit où rester au chaud et au sec.
Et puis, doucement, au fur et à mesure des pas, mes pensées négatives s’envolaient. J’étais de nouveau capable d’apprécier les merveilles de la région que je découvrais. Je prenais à nouveau conscience de ce que je vivais. Moi, ici, à l’autre bout du monde, avec ma tente et mon sac à dos, à marcher sur le flanc d’une montagne magnifique, à croisé le chemin de temples abandonnés, à m’enfoncer au cœur d’une forêt de bambous… Tout faisait de nouveau sens. Je me souvenais des raisons qui m’avaient poussées à partir. Pour tout ça. Pour le plaisir de marcher, pour le plaisir d’être ici, avec moi-même et rien d’autre…
Après avoir visité des dizaines de temples, je connaissais bien les coutumes : on entre dans le monument, on prie devant le premier autel, puis on prie devant le sanctuaire de Kobo Daishi, et enfin on rejoint le bureau pour faire tamponner le fameux livre de pèlerinage. Des fois, quand j’avais envie de me reposer un peu, je m’asseyais et j’écrivais dans mon journal en m’imprégnant de l’atmosphère du temple. Je sentais la fin de l’aventure arriver, je prenais donc mon temps pour faire les choses.
Et puis… Arriva le moment tant attendu : le temple 88 !
Le dernier temple du pèlerinage de Shikoku est accessible après avoir grimpé l’un des plus hauts sommets de l’île. Je suis arrivé là-haut trempé jusqu’aux os et les jambes tremblantes, sans tout à fait réaliser que mon pèlerinage venait de se terminer…
Enfin, pas tout à fait.
Pour réellement le terminer, il m’a fallu retourner au temple n° 1, puis me rendre avec un ferry à Koya-san pour une dernière journée de marche.
Là-bas, perché au sommet des montagnes, il m’a été possible de visiter les temples de Wakayama-ken qui ont été le quartier général de la secte Shingon pendant des siècles.
Il est dit que dans l’un de ces temples Kobo Daishi repose dans un état de méditation éternelle. C’est dans ce temple qu’il faut remettre son bâton de pèlerin et recevoir la dernière calligraphie.
C’est comme ça, après environ 45 jours, que j’ai pu finir de manière traditionnelle le pèlerinage de Shikoku. Et c’est seulement là, en me baladant dans le cimetière entourant le temple, que j’ai réalisé que j’avais fini de marcher.
Le lendemain matin, j’ai traversé la forêt de pins à l’aube avant de prendre le train pour Osaka.
Sur la route, je me suis senti vidé et déçu. Comme si j’arrivais à la fin d’un cycle ou d’une vie et que les derniers regrets émergeaient. Arrivé à Osaka je me suis sentie oppressé par le bruit, la foule et les néons criards à chaque coin de rue. L’odeur de la ville me donnait la nausée et je me sentais déconnecté de tout, à tel point que je me suis enfermé dans ma chambre d’hôtel les derniers jours.
J’étais bien entendu heureux d’avoir pu accomplir ce pèlerinage dans sa totalité et m’être surpassé comme jamais. J’en ressors également avec des souvenirs et des rencontres inoubliables.
Mais j’avais la sensation d’être passé à côté de quelque chose sur lequel je n’arrivais pas à mettre de mots.
Il m’a fallu quelque temps pour accepter cette déception et le fait de n’être peut-être jamais vraiment satisfait. Que peu importait le nombre de kilomètres parcourus, l’objectif n’avait jamais vraiment été d’obtenir quelque chose en retour ou d’aller quelque part.
Mais je pense qu’une expérience comme celle que j’ai vécue ne peut se mesurer en temps ni en kilomètres, ni même en dose de douleurs à supporter. Et ça me prendra sans doute pas mal de temps pour que je comprenne tout cela.
La bonne nouvelle, c’est que je suis fin prêt à arrêter de marcher et à retourner à Berlin, affronter les nouveaux défis qui m’attendent là-bas. Je finis une aventure pour en commencer une autre…
« Ce pèlerinage t’endurcira et ouvrira ton cœur. »
Vous pouvez retrouver un article complet sur l’équipement que j’ai emporté lors de mon voyage : Quel équipement emporter lors du pèlerinage de Shikoku
Le mieux est de partir d’avril à juin puis de septembre à octobre. À cette période, la température en journée tourne autour de 20°C et les pluies ne sont pas trop fréquentes (enfin, quand même un jour sur trois environ au printemps, et jusqu’à un jour sur deux en automne).
Il faut d’abord trouver un vol pour le Japon. Depuis Paris, il existe des vols de nuit directs pour Osaka avec AirFrance. Ces vols durent 12 heures et permettent de dormir quasiment tout le long pour éviter l’effet jet lag. Depuis Osaka, il faut ensuite prendre le train express Shinkansen jusqu’à Okayama puis un autre tain jusqu’à Takamatsu. D’ici, rendez-vous au temple n°1 pour commencer votre aventure. J’ai crée une carte Google Map avec tous les temples sur la route.
Pas la peine de réserver quoi que ce soit, de toute façon, vous ne savez pas à quelle allure vous avancerez. Vous pouvez arriver dans un temple et réserver une nuit directement sur place, ou bien dormir en B&B dans des Minshuku pour 6000 yens par nuit en moyenne. Il est aussi possible de camper tout le long du voyage pour diminuer les frais d’hébergement.
Il y a des tas de restaurants sur la route. Vous trouverez aussi des Family Mart et des 7/11 un peu partout. Les Minushuku proposent un dîner et un petit déjeuner.
Allégez votre sac au maximum et ne prenez avec vous que le minimum. N’oubliez pas que toutes les accommodations fournissent un kimono, des serviettes et des chaussons pour le soir et que vous pourrez faire laver vos affaires pour les récupérer le lendemain matin.