À l’âge de 21 ans, lorsque j’étais en Inde avec un visa de 6 mois et un aller-simple en poche, j’eu un déclic. Au bout de quasiment deux mois de voyage, je commençais à m’ennuyer et à tourner en rond.
Je voulais faire quelque chose de concret, n’importe quoi. Ça aurait pu être du yoga, de la méditation, de la plongée, du bénévolat… peu importait ! C’est là que j’ai décidé qu’après mes études dans l’hôtellerie, j’allais me lancer dans l’aventure, la vraie. Avec un projet, des dates, une organisation. Une sorte d’expédition à long terme qui allait me permettre de me surpasser et de voyager différemment. Je ne savais pas encore exactement de quoi il s’agirait, mais je savais que le voyage purement « sac à dos » et « comme tout le monde » n’était plus fait pour moi. J’aspirais à autre chose. Je voulais traverser des mers en voilier, des pays à pieds, pédaler sur des sentiers non foulés, descendre des rivières en kayak et plonger dans le bleu profond des océans en une seule inspiration.
Par la suite, mes autres voyages m’ont fait le même effet. L’ennui revenait au galop dès lors que je passais le cap des trois semaines de vadrouille. J’avais fini par me lasser des heures de stop, des éternelles et mêmes conversations entre backpackers dans les hostels, de visiter des temples pour la 14ème fois (j’exagère à peine !), de passer des heures entres gares et aéroports, mais aussi de perdre mon temps dans des bus et des trains ; sans compter les nuits sans dormir, à me battre contre la fatigue ou à finir à même le sol, allongée au milieu des rangées de sièges de bus de nuit, juste pour essayer de gratter quelques minutes de sommeil.
Mon dernier gros déclic a eu lieu l’année dernière, après avoir passé deux jours entre avions et aéroports pour rejoindre Bora Bora depuis Katmandou. Le nombre d’heures de décalage horaire se comptait quasiment en jours ! J’en ai eu marre de vivre ce genre de situation, et c’est alors que je me suis fait une promesse : fini les décalages horaires interminables.
En émergeant de mon jet lag profond, je me suis aussi rendue compte que mon empreinte carbone était montée en flèche ces derniers temps. En tout et pour tout, j’avais pris une quarantaine d’avions en l’espace de 24 mois. Bordel ! Je ne suis pas une grande écolo, mais je me suis quand même dit qu’il ne fallait pas trop abuser non plus. Cette prise de conscience n’a fait que renforcer davantage mon envie de voyager en voilier.
Début 2019, un projet de voyage a commencé à grandir en moi. Ce voyage, je le surnomme secrètement « ma première expédition », car j’ai bien l’intention qu’il ne soit que le premier d’une longue liste d’aventures autour du globe. Les pièces du puzzle se sont peu à peu assemblées, jusqu’à finir par s’emboîter. C’était décidé : j’allais rallier Tahiti au K2 sans moyen motorisé, en traversant la Nouvelle-Zélande et la chaîne Himalayenne à pied, et le reste à vélo et en bateau-stop.
Pourquoi Tahiti ? Dans le cadre de mes deux stages de fin d’études, j’ai vécu environ 15 mois en Polynésie française, entre octobre 2017 et mai 2019. J’ai ensuite profité de ma présence sur place pour explorer les archipels de la Société et des Marquises pendant deux mois, puis ai conclu mon séjour dans ce bout du monde paradisiaque en août 2019 par trois semaines de vacances de rêves avec mon frère et son amie. Au programme : exploration des îles de la Société et des Tuamotu et plongée sous-marine. Débuter ensuite l’aventure en bateau-stop depuis Tahiti à la fin de nos vacances en famille m’a paru tout simplement évident.
Pourquoi le K2 ? Disons que c’est une vieille histoire de famille. M’émerveiller devant le deuxième plus haut sommet du monde me trotte dans la tête depuis que, petite, j’ai reçu une carte postale de mon parrain qui se baladait dans le coin pour ascensionner un sommet de plus de 8’000 m. J’aimerais aujourd’hui lui rendre hommage en y allant, et puis, c’est aussi que j’ai une envie folle d’aller me perdre dans des endroits reculés et préservés des foules.
Le 29 août 2019, l’Aventure avec un grand A pouvait enfin débuter. J’avais 25 ans, mon diplôme en poche, de l’expérience acquise au cours de ces dernières années de voyage, et une motivation sans faille pour concrétiser mes rêves. J’ai levé le pouce, cette fois-ci non pas en bord de route, mais sur le ponton de la marina de Papeete (enfin, ça s’est pas tout à fait passé comme ça mais presque) et ni une, ni deux, me voilà embarquée à bord de Mariposa, un magnifique Outremer de 17m de long.
Pendant cinq semaines, entre deux vomissements, j’ai appris les bases de la voile et de la vie à bord. J’ai goûté à la liberté d’avancer en suspens au milieu du bleu infini de l’océan qui s’arrangeait toujours pour finir par se confondre avec celui du ciel. J’ai eu l’honneur de connaître le mal de terre sur des îles reculées répondant aux doux noms de Niue, Tonga, Fidji et Vanuatu. Le cœur lourd et l’âme pleine de larmes, j’ai débarqué de Mariposa à Port Vila (Vanuatu), parce que ma direction était à l’opposé de celle de mes compagnons de vagues.
J’ai attendu, j’ai cherché, j’ai fait des sourires, j’ai bu des cafés, bref, j’ai passé mes journées à la marina de Port Vila dans l’espoir de trouver une embarcation pour la « Grande Terre ». Une semaine plus tard, me lorgnant d’impatience, j’ai fini par prendre la voie des airs.
J’avais une bonne excuse, quand même… Bah oui, c’est que mon amie Charlotte et ses potes tous plus beaux les uns que les autres m’attendaient de pied ferme !
J’ai vécu un mois entier à Nouméa, avant d’embarquer à bord du « Another Adventure » (Addie pour les intimes), un Jeannot de 14m de long, direction la Nouvelle-Zélande. Après sept jours de navigation et beaucoup moins de vomissements que durant ma première expérience maritime, j’ai débarqué à Opua, Bay of Islands, situé au nord-est de l’île du nord. Je suis ensuite montée dans 25 véhicules et ai traversé le pays du Seigneur des Anneaux en stop, seule et en trois jours seulement. Après avoir fait un petit détour sur l’île de Stewart, j’ai commencé mon épique aventure sur le Te Araroa Trail au départ de Bluff, qui se trouve à la pointe sud de l’île du sud.
Ah, le Te Araroa ! En 2018, quelqu’un avait évoqué l’existence de cette randonnée longue de 3’000km et, depuis, l’envie de la faire ne m’a plus quittée. Moi qui voulais troquer le voyage contre l’aventure, voilà que j’avais mis le doigt sur le premier pays que j’allais traverser entièrement à pied !
Avant de débuter la marche, je ne m’étais ni préparée physiquement ni encore moins renseignée sur les différentes sections à parcourir ainsi que leurs difficultés respectives. Tout ce que je savais du TA, c’était que j’allais passer beaucoup de jours à patauger dans la boue et que ça n’allait pas être de tout repos !
Avec un peu de recul, je suis ravie d’avoir été naïve au début et de ne pas m’être plus renseignée sur le parcours. Honnêtement, si j’avais su que j’allais devoir me taper 30km dès le premier jour, je crois que j’aurais jeté l’éponge avant même d’avoir essayé.
Je savais que me lancer dans cette (dé)marche allait être la chose la plus difficile que je n’avais jamais faite, mais qu’elle serait aussi un tremplin vers la connaissance et le dépassement de soi.
Au début de la marche, mes craintes et mes doutes quant à la réussite de ce challenge se mélangeaient à la douleur physique que mon corps subissait en permanence.
Malgré tout, ma motivation et ma positivité, une qualité que j’ai très vite acquise au fil des jours, l’emportaient sur tout le reste. Au fur et à mesure des kilomètres, je suis même devenue une marcheuse aguerrie. Ça peut faire rire, et paraître idiot, parce que marcher est la chose la plus simple au monde, mais ce n’est pas tant le fait de mettre un pied devant l’autre qui est compliqué, c’est tout le reste. Faire face à ses limites, le froid, la faim, les chaussures qui lâchent sans prévenir alors qu’on est en train de franchir un col à 2’000m d’altitude, le ras le bol de manger toujours la même chose, la fatigue qui s’accumule et l’organisation monstrueuse qui entoure un tel trek, chose à laquelle je n’avais même pas pensé ! Bah oui, partir à l’arrache, ça marche aussi, non ?
Mais il est vrai que l’on apprend vite (très vite, même) à se connaître, à s’écouter, à s’encourager et même à fouler le sol plus habilement. En ce qui me concerne, je rampe désormais avec une maîtrise étonnante sous les troncs d’arbres avec un sac de 16kg (tel Rambo mais avec une paire de nichons), et je m’en amuse même !
Je me réveillais vers 7h, j’avalais un petit déjeuner, j’étirais mon corps endolori, préparais mon sac à dos et me mettais en marche. Mes journées étaient rythmées par le bruit de mes bâtons et de la nature. Dans l’île du sud, je dormais la plupart du temps dans des huts* ou, lorsque j’étais en ville en auberge de jeunesse. L’île du nord est moins sauvage, je traversais plus de villes et utilisais beaucoup le réseau des Trails Angels** à disposition des marcheurs.
De manière générale, je faisais en sorte d’arriver là où j’allais dormir avant la tombée de la nuit. C’était plus facile en été (les saisons sont inversées dans cette partie du globe), car le soleil se couchait aux alentours de 22h30 alors que maintenant il fait nuit à 18h. Le soir, je retrouvais ma routine qui consistait à m’étirer et à manger, avant de tomber de fatigue relativement tôt.
Je me lève à 8h et ne tarde pas à partir. Il fait beau et le terrain se déploie platement devant moi. Ensuite, ça monte, et ça descend, et ça remonte, et ça redescend, sur un petit chemin qui surplombe une jolie rivière. Du dénivelé, quoi ! Rien de plus normal en montagne. Je traverse ensuite sur 500 mètres environ de gros blocs de pierres qui me font office de chemin. Je me dirige grâce aux piquets oranges qui m’indiquent la direction à suivre et me débrouille plutôt bien.
Puis, ça se corse un peu. Il faut que je rejoigne une crête. Le chemin est merdique et mal dessiné. Forcément, je m’égare et me retrouve à devoir escalader comme une sauvage des blocs de pierres plus ou moins grands, qui tiennent plus ou moins en équilibre sur un sol plus ou moins stable, et qui glissent sous le poids de mes efforts. À la bonne heure !
Mon genou. Je m’inquiète pour mon genou. Je mets toutes mes forces et toutes mes tripes pour monter cette foutue pente, mais beaucoup de mes peurs et doutes remontent. Et si mon genou lâche ? Et si je dois arrêter complètement le trail ? Et si je n’avais pas, comme une conne, arrêté de marcher pendant deux semaines entières à Christchurch ? Je pète les plombs dans ma tête, et touche le désespoir. Je me pose par terre, cache mon visage entre mes mains, et m’effondre sur place. Bordel de merde.
J’ai encore mal. Que faire ? Marche arrière ? C’est hors de question. J’ai la rage d’avancer. Il n’est pas question que j’abandonne là. J’ai trop marché, trop avancé, j’en ai trop chié, pour me permettre de baisser les bras maintenant.
Donc je n’abandonnerai pas. Pas maintenant, ni même demain, ni même un autre jour. Parce que mille kilomètres à pieds, même si « ça use, ça use, mille kilomètres à pieds, ça use les souliers… », j’en ai déjà beaucoup trop fait pour me permettre de lâchement tout arrêter. Je décide de sécher mes larmes et de poursuivre ma route. Je choisis de continuer de vivre mes rêves à fond, car les rêves les plus fous ne sont pas forcément les plus faciles, mais c’est au travers d’eux que je trouve mon équilibre et mon bonheur.
Alors je me relève et fais ce que j’ai fait ces 57 derniers jours : mettre un pied devant l’autre. Je mets toute ma hargne dans mes bras et grimpe au sommet de cette foutue pente, bercée par de nombreux « nom de Dieu de bordel de merde je vais y arriver. Je vais y arriver. Je vais y arriver ! » Car oui, je vais y arriver même si, là, en cet instant, je n’y crois plus vraiment et que je n’ai qu’une envie, celle de retrouver un lit douillet et une tonne de nourriture à ingurgiter. Mais je vais y arriver, car réaliser mes rêves est bien plus intense et plus urgent que la douleur ou la perte de quelques ongles de pieds.
Je vais y arriver, tout simplement car mon cœur me guide, la Terre me porte et mon âme me transporte.
Le 23 mars de cette année, alors que je venais de franchir la ligne des 1’500 km, j’ai appris que la Nouvelle-Zélande allait être en confinement. J’avais tout juste 48h pour aller à Whangarei récupérer les affaires que j’avais laissées sur Addie (Franck, le capitaine, et le bateau s’y trouvent depuis plusieurs mois) et trouver un logement. Dans le bus, en parcourant la page Facebook du Te Araroa, je suis tombée sur le poste de Donna, une Kiwi qui vit à une petite demi-heure de la ville de Whangarei. Elle offrait une chambre à qui en avait besoin durant cette période d’isolement. Je l’ai contactée et ai vécu sept semaines avec elle et son chat, dans sa jolie maison qui offre une vue imprenable sur l’océan pacifique.
À titre personnel, je ne me soucie pas trop de la suite de mon voyage. Déjà, parce que le gouvernement a prolongé les visas touristiques jusqu’à fin septembre, ce qui me donne tout le temps de « voir venir ». Ensuite, parce que j’ai pu reprendre la marche le 15 mai et ai pu terminer le trail comme prévu.
Avant même de traverser le Pacifique sud en bateau-stop, j’avais une idée bien précise concernant le post-Te Araroa. J’avais décidé que j’irai me poser une année en Nouvelle Calédonie ou en Australie afin de planifier, programmer et organiser la suite de mes aventures qui se poursuivront majoritairement en Asie. Je voudrais aussi écrire mon premier livre et me préparer physiquement pour le Great Himalayan Trail, qui sera l’étape la plus exigeante de mon parcours. Cependant, au vu de la situation actuelle et des frontières fermées, je ne sais pas si je pourrai quitter la Nouvelle-Zélande cette année. Ce n’est pas grave, car je me sens bien chez les kiwis et peux tout autant écrire, m’organiser et m’entrainer ici !
Finalement, où que je sois dans le monde, je me sens bien. Je continue d’évoluer, d’avancer, et de réaliser mes rêves.
[clickToTweet tweet= »Ma route se dessine naturellement et les rencontres se font de manière fluide et simple. » quote= »Ma route se dessine naturellement et les rencontres se font de manière fluide et simple. « ]Je sais que je suis à ma place, au bon endroit et au bon moment à chaque instant. Je suis sereine et confiante quant à mon présent et à mon futur. J’avance en paix, guidée par ma bonne étoile et les battements de mon âme.
J’ai suffisamment les pieds sur terre pour permettre à mon esprit de s’échapper parfois dans les nuages. Donc je continue de rêver en grand, tout en ayant appris au fil des kilomètres que ce n’est pas la destination qui compte, mais chacun de mes pas qui, l’un après l’autre, m’y emmènent.
Lise Blanc
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