Cela fait plusieurs mois que l’idée de fabriquer mes propres vêtements me taraude.
Le problème c’est qu’aujourd’hui je ne trouve aucune marque qui corresponde.
Soit c’est cher, soit il faut l’importer, soit c’est de ma mauvaise qualité, soit l’environnement en prend un sérieux coup, soit ça ne correspond tout simplement pas à mon style de vie….
En 2018 je décide de passer à l’action en confectionnant mon premier pantalon.
Après des mois de recherches je fini par tomber sur LE tissu qu’il me fallait, une matière technique haute-qualité qui vient de Suisse, à la fois stretch et double face pour le confort et les voyages.
Le tissu est également coupe-vent, résistant à l’abrasion et déperlant pour affronter la pluie ou le café.
Pour couronner le tout il est aussi fabriqué à partir de filet de pêche recyclé !
Grace à une amie j’ai pu créer un premier prototype que je porte quasiment tous les jours depuis.
En octobre dernier, sachant que je devais me rendre au Japon pour un trek de plusieurs jours dans les montagnes, je décide de m’intéresser à l’Indigo.
L’indigo est utilisé dans de nombreuse cultures du monde entier depuis la nuit des temps, chaque culture et zone géographique posséde sa plante et ses secrets de fabrication. Je me souviens d’ailleurs qu’en Algérie les femmes touaregs utilisaient cette plante pour teindre leur robe lors de la Sebiba.
Je passe donc plusieurs jours à me documenter sur le sujet et je tombe complètement sous le charme de ce procédé de fabrication de teinture naturelle..
L’un des aspects qui m’a le plus attiré, c’est qu’à l’inverse d’un procédé chimique qui conservera une homogénéité, la teinture indigo vit et vieillit avec nous. Partant d’un bleu nuit pour devenir avec les années tantôt encre, tantôt violacée, elle porte les marques du vécu.
Il est assez rare de tomber sur des Japonais qui parlent anglais. Alors des japonais qui parlent anglais ET qui sont en plus dans la teinture Indigo, autant chercher une licorne dans une botte de foin.
Mais grâce à des amis sur place et de la persévérance j’ai pu rentrer en contact avec quelques artisans.
Au XIXe siècle, durant la période Edo, la teinture indigo était au summum de sa popularité et l’on trouvait dans la préfecture de Tokushima quelques 1800 fermiers indigo.
Avec le temps, beaucoup de paysans sont partis à la retraite ou se sont tournés vers des cultures plus rentables comme les carottes, provoquant ainsi la disparition progressive de cet artisanat ancestral.
Peu à peu l’équipe s’est agrandie pour accueillir Yuya Miura, un tailleur, et Yuki Ken, un ancien banquier qui a abandonné son travail pour rejoindre le projet.
Ces quatre artisans s’occupent de faire pousser des indigotiers et, après fermentation, travaillent à fabriquer du colorant naturel entre le bleu et le violet. C’est ce que l’on appelle le fameux « Japan Blue ».
À travers ce projet, ils font renaître non pas un, mais deux artisanats quasiment disparus : la culture de l’indigotier, et la fabrication des teintures.
L’équipe créé aussi des produits plus contemporains grâce au fruit de leur travail : des tabliers, des fourre-tout et d’autres accessoires. Beaucoup de ces créations peuvent être achetées sur leur boutique en ligne ou réalisées à la main dans leur atelier, comme aujourd’hui.
La ferme étant difficile d’accès, j’ai donc dû louer une voiture et faire deux heures de route depuis Okoyama. Après une nuit passée dans un ryokan à côté de la gare de Tokushima, je rejoins au petit matin la ferme à Indigo.
À mon arrivée, je suis accueilli avec un thé indigo par Kyoko qui dirige la ferme. Je l’ai ensuite suivi pour une visite guidée des champs qui venaient juste d’être plantés. Les feuilles d’indigo font un thé très doux et réconfortant.
La plante est utilisée depuis des milliers d’années dans le monde non seulement en tant que colorant naturel pour l’art et les vêtements, mais aussi en tant que plante médicinale.
La grange, rustique, accueille la petite entreprise ainsi que leur chien. Elle fait partie de la communauté agricole de Tokushima.
Assis au milieu de la grange, Kakui partage avec moi l’histoire de la plante Indigo. Il me raconte que cette plante était déjà très prisée par les guerriers samuraï de l’époque des luttes entre les provinces, à la fois pour ses qualités pratiques (anti-bactérienne, résistante aux mauvaises odeurs et aux salissures ) et pour sa grande beauté.
Pendant ses explications, je ne pouvais m’empêcher de regarder ses ongles… Il m’avouera plus tard que cela faisait plusieurs années qu’il n’a pas vu leur couleur naturelle.
Au Japon, les procédés de fabrication de la teinture indigo sont différents de ce que j’avais pu voir en Inde, où elle est transformée en sorte de pâte. La tradition japonaise, elle, veut que les feuilles d’indigo soient compostées en sukumo, fermentées et mélangées à de la soude de cendre, à de l’hydroxyde de calcium et à du blé.
Les feuilles d’indigo doivent être mélangées à de l’eau une fois par semaine durant 120 jours avant d’être mélangées avec de la soude de cendre, de l’hydroxyde de calcium et du blé.
Tout comme en Inde, les fils de laine et les habits sont trempés dans un bassin d’indigo et deviennent de plus en plus foncés au fil des bains. L’avantage, c’est que la couleur ne déteint pas au lavage.
Chaque nuance a un nom qui lui est propre : kamenozoki (bleu pâle), asagi (bleu-vert pâle), hanada (bleu azur), nando (bleu-vert foncé), ai (indigo, bleu de Prusse), kon (bleu foncé), et kachiiro (indigo foncé, bleu-noir).
J’ai pour ma part choisis de teindre le T-shirt kachiiro ! J’ai dû tremper le T-shirt trois fois deux minutes dans le bassin.
A la fin de cette journée j’ai eu l’impression de m’être battu avec un Schtroumpf… A ce moment là, j’étais loin de me douter que mes mains, et surtout mes ongles, resteraient de cette couleur pendant plusieurs semaines…
Durant toute la visite je ressens à quel point ils sont dévoués corps et âme au projet.
On pourrait même dire qu’ils ont sublimé cet artisanat, même si l’équipe vous répondrait humblement qu’ils continuent à apprendre de leur grand maître Osamu Nii, un local dont la famille crée de l’indigo depuis 6 générations.
Ce dernier leur rend d’ailleurs régulièrement visite afin de vérifier la fermentation des plantes.
Je crois bien que la partie marquante de cette expérience était la réponse à l’une de mes questions qui me semblait pourtant anodine. J’ai demandé à Kakui combien de temps il fallait pour maîtriser cette technique et il m’a répondu :
« C’est un art qu’il faut continuer d’apprendre toute sa vie »
Une vidéo tournée à la ferme qui retranscrit bien l’atmosphère que j’ai vécue pendant mon séjour.
Si vous êtes intéressés par le sujet, je vous recommande le bouquin de Catherine Legrand, une Française qui a passé plusieurs mois dans cette même ferme: Indigo: The Color That Changed the World
Et si vous êtes de passage dans la région je vous recommande également le musée de l’indigo situé à quelques minutes de chez Buaisou ! Ce musée retrace en détails toute la tradition de l’indigo, de la culture de l’indigotier à la teinture du tissu.
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