Cela faisait un peu plus de quarante jours que nous voyagions en van autour de la Mer Noire. Après la Pologne, l’Ukraine, la Moldavie, la Roumanie, nous étions en Bulgarie.
Assis à la terrasse d’un café, Cyril nous parle de Bouzloudja, un lieu insolite abandonné au cœur du grand Balkan.
-Il est quelle heure ?
-18h00
-Et on est à combien de kilomètres ?
-J’sais pas, une soixantaine, à vue de nez.
-Comment ça à vue de nez ?! On va pas arriver en haut de la montagne en catapulte ! Check la Google map !
-Attends…. ouais 97 kilomètres.
-Ca fait une différence quand même !
-Ca va l’faire, on peut arriver au coucher du soleil
Après avoir regardé des photos sur Google images, il nous fallut seulement quelques minutes pour décider de nous y rendre
Et deux heures plus tard nous étions sur le site…
Mon cœur se mit à battre la chamade au premier coup d’œil lancé sur cet étrange monument perché en haut des montagnes. La première chose qui surprend en arrivant à l’entrée du site, sa taille et son architecture complexe. Perché à 1441 mètres d’altitude, Bouzloudja est sacrément difficile à atteindre.
Sérieusement, combien des 6000 personnes qui travaillaient ici y ont perdu la vie ?!
Par chance, le Bouzloudja était totalement dégagé. Aucun nuage. Mais le soleil se couchait sur nos espérances, il faisait déjà nuit, ce qui compliquait grandement nos envies d’exploration.
Après avoir garé le van à seulement quelques mètres de l’entrée, on se demande s’il n’était plus prudent de visiter le lieu le lendemain matin. En effet, on avait pu lire ici et là des choses bizarres à propos de cet endroit…
En plus le gérant du café nous a raconté que les forêts aux alentours sont habitées par des loups et des ours – des ours mangeurs d’hommes apparemment et je ne pense pas que les loups soient plus sympas….
(NB: j’ai vérifié depuis, et en fait c’est des conneries ! Le mec s’est juste payé notre tête).
On s’en fout, on prend nos torches et on y va ! gueula Cyril
C’est ça aussi de voyager en groupe, on reste porté par l’énergie des autres.
Quelques panneaux écrits en lettres cyrilliques accueillent les visiteurs à leur arrivée sur le site. Je ne peux pas vous dire ce qu’ils disaient, mais j’imagine qu’il s’agissait de slogans communistes proclamant la grandeur de la Bulgarie, du communisme ou même des Bulgares.
Ce qui est sûr, c’est que Buzludzha fut construit en hommage aux communistes bulgares qui y établirent leur QG.
Devant la porte d’entrée, on croise deux jeunes couples bulgares venus aussi visiter les lieux. Ils n’y avaient jamais mis les pieds et essayaient de trouver une issue pour se faufiler à l’intérieur. On décide de faire équipe avec eux.
Je dois bien avouer que ce fut plus facile que ce que je pensais. À droite de l’entrée, je remarque une grosse pile de pierre cachant discrètement une petite entrée. Ni une ni deux, me voilà en haut de la pile à jeter mon sac à dos de l’autre côté et à me glisser dans la petite faille. En quelques secondes, j’étais déjà à l’intérieur ! Les autres me rejoignent rapidement.
Je remarque directement le bon état de conservation de l’intérieur. Quelqu’un en avait-il pris soin dernièrement ? Alors bien sûr, l’entrée est en chantier et recouverte de gravats mais l’escalier qui semble pouvoir s’effondrer à tout moment est finalement très facile à franchir. C’est lui qui mène à l’auditorium, une ancienne salle de congrès à couper le souffle.
Au premier coup d’œil, je sens à nouveau mon cœur s’emballer. Je suis dans l’auditorium de Buzludzha ! Il est incroyable, inspirant et complètement fou. Le sol, en marbre blanc, est bien plus propre et brillant que ce à quoi je m’attendais. Au centre du plafond, une faucille et un marteau massifs entourés d’un cercle rouge viennent accentuer le sentiment de visiter un lieu unique.
Les sièges, qui devaient accueillir autrefois plusieurs milliers de personnages politiques, avaient tous disparu, mais la plupart des peintures murales étaient encore là, à illustrer des scènes diverses en lien avec la construction d’une société socialiste. Engels, Marx et Lénine font bien sûr partie du décor avec trois autres figures importantes de la politique bulgare. À gauche, je repère une peinture complètement défigurée… L’un des bulgares me dit qu’il s’agit probablement d’un politique des années soixante…
Je prends rapidement quelques photos en espérant que le plafond ne s’effondre pas sur moi. Quelques parties du monument étaient déjà tombées à en juger les nombreux faisceaux de lumière provenant de la lune…
Tout au long de notre visite, des bruits énormes nous faisaient sursauter. Des craquements, des cliquetis, des gémissements, des grondements, des claquements. Toutes sortes de bruits effrayants provoqués… par le vent. Normal étant donné que le monument se trouve tout en haut d’une montagne, mais ça faisait vraiment froid dans le dos.
Après nous être imprégnés de l’atmosphère étrange du lieu, nous sommes revenus à l’entrée pour prendre quelques photos supplémentaires. Un moment, en me retournant, j’ai vu une ombre croiser mon chemin…
AAARRGGHHH !!!
J’ai failli prendre mes jambes à mon cou avant de réaliser que c’était juste mon ombre. Comme je vous l’ai dit, tous mes sens étaient en alerte.
En bas, il faisait encore plus sombre que la nuit. Une obscurité profonde comme j’en ai rarement vue. J’ai parcouru les différentes pièces avec ma lampe torche. Les toilettes étaient encore carrelées, mais vides. Les meubles avaient disparu. On continue d’avancer prudemment dans ce noir intense et enfin, au loin, l’entrée menant à la fameuse tour apparaît.
Nous avons continué sous l’auditorium en faisant attention de ne pas glisser ou tomber dans un trou avant de tomber nez à nez avec une porte en métal. Heureusement, elle était trouée et on a pu passer pour atteindre l’escalier tant convoité.
Je ne sais pas combien d’étages j’ai grimpés ce jour-là. Dix, douze, ou quinze. En tout cas j’ai eu l’impression d’avoir fait ma séance de sport pour la semaine. Dans l’obscurité, ma lampe torche coincée entre les dents, j’ai monté l’escalier en faisant attention de ne pas tomber dans l’un de ses nombreux trous. Des graffitis bulgares ornaient les murs, écrits avec colère en cyrillique avec de la peinture plus rouge que le sang. Tout au long du chemin, les bruits du vent continuaient à me faire frémir.
Au bout d’un petit moment, les marches se sont enfin arrêtées. Ne restait plus qu’une petite échelle rouillée et hors d’usage qui permettait d’atteindre le sommet de la tour. Après avoir grimpé quelques barreaux, nous nous sommes retrouvés… Sur le toit !
Wouhouuuuuuuu !
Un spectacle magnifique s’offrait à nos yeux : un ciel d’un bleu profond où étaient épinglés des milliards d’étoiles. La Voie lactée passait juste au-dessus de nous.
Les autres bulgares avaient rebroussé chemin. Peut-être avaient-ils trop peur… En tout cas, nous ne les avons jamais revus.
Nous sommes restés quelque temps à admirer les étoiles et à prendre de magnifiques photos avec l’appareil de Steven.
Au bout d’un moment, nous avons vu une voiture s’approcher. Elle arrivait droit sur le Buzludja. Mince, qui étaient ces gens ?!
Nous décidons de reprendre l’échelle en sens inverse et de rebrousser chemin plutôt que de nous retrouver face à face avec les nouveaux arrivants (qui pouvaient êtes synonymes de problèmes).
Une fois tout en bas, nous décidons d’explorer rapidement le sous-sol…
Apparemment, l’endroit est infesté de zombies et ils adorent faire peur aux étrangers. Je n’en ai pas vu un seul, heureusement !
Au bout d’un petit moment, je me suis retrouvé dans une sorte de salle informatique où j’ai trouvé un sanctuaire dédié à deux Français, assassinés en ce lieu le 5 octobre 2012.
Une croix en bois ornait le mur où était disposé un bout de papier avec les noms d’Achille, 23 ans, et de Marrok, 29 ans ainsi que la date de leur meurtre. Un bouquet de fleurs défraîchi reposait à côté et, sur une étagère supérieure, une bible, les restes d’une bougie et un registre de condoléances complétaient la scène morbide.
C’est une blague, aucun français n’a été assassiné ici (J’ai tapé les noms sur Google et me suis rendu compte que les noms et les dates avaient été tirés du livre MEAT – Memoirs of a Psychopath).
De toute façon, il était grand temps de repartir d’ici. Il était 2 heures du matin et on commençait tous à être crevés.
Une fois sortie, on s’amuse à prendre de nouvelles photos. Les dernières en face du Buzludja.
Et si on se mettait à poil pour la photo ?! Suggéra Paul.
Pff quelle idée de merde ! Prendre une photo dans le noir oblige à rester dans la même position plus de 30 secondes ! Mais bon, les autres étaient emballés et au final la photo n’est pas si mal. On dirait presque la jaquette d’un album d’un groupe psychédélique des années 70 (j’ai rapidement flouté la photo bande de coquins ! )
Après notre délire, nous retrouvons le van à seulement quelques mètres de là, pour dormir un peu. Mais dès le lendemain matin, nous irons reprendre un peu plus de photos de cet étrange monument !
Il y a des choses qui méritent que l’on s’éloigne un peu de notre itinéraire pour les voir, et Bouzloudja est sans conteste l’une d’entre elles. Si vous comptez voyager en Bulgarie, Bouzloudja doit être sur votre liste des choses à voir !
[social_warfare buttons= »Facebook,Twitter,Pinterest »]