J’ai revu, il y a quelques jours, un très vieil ami. Bien que très proches durant nos années collège et lycée, nous nous étions, peu à peu, perdus de vu. Je l’attendais à la sorti du métro odéon, lieu de rendez vous symbole d’une jeunesse parisienne mondaine.
Je matais avec intérêt et par habitude aussi, les accoutrements sophistiqués des nymphettes qui m’entouraient… lorsque soudain, il surgit devant moi comme un animal.
Un short beige, des sandales, une barbe de 8 jours, un sourire sur le visage et un gros sac de randonné sur le dos. Il était l’antithèse parfaite de tous les Jean Sarkosy des alentours.
Mi touriste, mi clodo… il était devenu un artiste errant.
Dans son sac, il cachait le petit arsenal du parfait peintre nomade. Tel un paparazzi, il était prêt à dégainer ses instruments à tout instant, pour capturer une image, une émotion.
De retour de Berlin, frustré par une déception sentimentale, il souhaitait maintenant partir vers le sud, à Nice ou en Italie, il ne savait pas trop. Une chose était sure, il voulait être loin de Paris, cette ville où il a grandi. Loin de sa famille aussi, loin de tous ceux qui pourraient lui reprocher sa marginalité.
Pourtant, cette marginalité devient de plus en plus commune, c’est un fait, je le vois autour de moi, je le vois en moi. La jeune génération ne croit plus en notre modèle sociétale. Gangréné par ses incohérences, ses contradictions, ses injustices, il s ‘érode petit à petit comme un mur de sable.
Bien plus tragique que la rébellion adolescente des beatniks ou des hippies, cette marginalité contemporaine est surtout le fruit d’un désenchantement.
Le système n’est plus remis en cause sur ses buts ou fondements mais sur sa véracité, sa solidité et son efficacité. C’est aujourd’hui une certitude, il sera de moins en moins capable de fournir à ses populations ce confort matériel qui permet, encore aujourd’hui, d’acheter le compromis, la paix sociale. Ce constat pousse les jeunes éclairés, et par cette précision, je mets de coté la masse inerte et lobotomisée, à se détourner de cette grosse machine qui bien que proche du précipice ne cesse d’accélérer, tout en klaxonnant…
Cette désespérance de la jeunesse, je la vois surtout dans son désir de fuite. Fuir le salariat dans un premier temps, jugé à juste titre comme aliénant et sans intérêt.
Bien au delà de la volonté de richesse ou de liberté, il y a une vraie recherche de sens. Quoi de plus exaspérent qu’être sur une voie sans but, faire quelque chose d’inutile.
Ce désir de fuite se traduit aussi au figuré. De nombreux amis me parlent de leur profond désir de partir loin, à l’étranger, faire un tour du monde… Certains d’entre eux ont même déjà fait le pas. Ils sont sur les routes.
Nous pourrions croire que c’est quelque chose de naturel à cet âge, que cela a toujours existé. Sans doute. Il y a cependant une différence majeure. Au delà du simple désir de partir, je vois chez eux cet étrange espoir de ne jamais revenir. Nous ne sommes donc pas dans un traditionnel voyage initiatique mais plutôt dans un exode, une fuite vers un monde meilleur.
Cette attitude que certains jugeront égoïste ou hédoniste est en réalité parfaitement logique. Ce système, cette société que Ernst Jünger appelle avec poésie, le Léviathan, est un monstre immense, insaisissable par l’individu, il en a conscience, il en soufre.
Nous nous sentons tous parfaitement minuscules, impuissant devant cette inertie. A quoi bon rester là, à observer un interminable naufrage.
Un proverbe irlandais dit que l’espoir, c’est ce qui meurt en dernier. Dans ce cas, nous devons être très proches de la fin. Lorsque les individus qui composent un système ne croient plus en lui, il s’effondre, c’est mécanique. Cet effondrement, en plus d’être inéluctable est sans doute souhaitable, nous en avons tous conscience, ce qui nous fait peur, c’est les dégâts collatéraux, la période de transition, ce possible moment de chaos entre la fin d’un monde et le début d’un autre. Allons nous, à notre petite échelle survivre à ces changements, dans quelles conditions… autant de questions qui mènent à l’angoisse. Pour un spectateur cynique, assister à la fin d’une civilisation, doit être un spectacle fascinant, une source d’inspiration infinie.
Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec la chute de l’empire romain. S’adonner à l’hédonisme, à la jouissance égoïste, est peut être une manière saine d’accepter sa mort.
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